Article No2 sur l’arrêt de la Cour constitutionnelle : Réécriture de l’article 70

Publié le par jpkasusula

Les neuf juges de la cour constitutionnelle et les six hauts magistrats oeuvrant au parquet
Les neuf juges de la cour constitutionnelle et les six hauts magistrats oeuvrant au parquet

1. Extension sans limite du dernier mandat du président

Le troisième problème que pose l'arrêt sous examen réside dans le fait de n’avoir pas fixé de limite au dépassement du dernier mandat du président en fonction. En effet la Cour soutient que le président Kabila peut rester au pouvoir jusqu'à l'installation effective du nouveau président élu, cependant elle ne se préoccupe pas de préciser dans quel délai l'élection de ce nouveau président devrai intervenir. En termes clairs le mandat du président en fonction est prolongé sans limitation dans le temps jusqu'à l'installation effective du nouveau président à elire dans un délai indéterminé.

En fait la Cour a, subrepticement sans mandat ni pouvoir, réécrit l'article 70 alinéa 2 de la constitution en ces termes : « A la fin de son mandat, le Président de la République reste en fonction jusqu’à l’installation effective du nouveau Président à élire » ; (en lieu et place du Président (déjà) élu - conformément à Article 73)».

En apparence, ce changement paraît mineur mais en réalité il bouleverse fondamentalement toute l'ossature et la logique interne de la loi fondamentale.

2. L'ossature constitutionnelle chamboulée

Dans sa logique interne, la constitution prévoit que le président de la république est élu au suffrage universel pour un mandat de 5 ans renouvelable une seule fois. Pour garantir l'alternance au pouvoir elle impose aussi la convocation de l'élection présidentielle 3 mois avant l’expiration du mandat du président en fonction. Ceci est renforcé par l’article 220 qui exclu de toute révision constitutionnelle les matières portant sur : la forme républicaine de l’Etat, le principe du suffrage universel, la forme représentative du Gouvernement, le nombre et la durée des mandats du Président de la République, l’indépendance du Pouvoir judiciaire et le pluralisme politique et syndical.

Dans cette logique l’article 70 alinéa 2 qui dispose qu’ : « A la fin de son mandat, le Président de la République reste en fonction jusqu’à l’installation effective du nouveau Président élu. » ne peut s’interpréter que dans le contexte de la tenue régulière des élections présidentielles et assure la soudure de la période entre l'élection du nouveau président et l'installation de son successeur. Aisni le Président de la République reste en fonction non pas jusqu’à l’élection d’un nouveau président, mais bien jusqu’à l’installation effective d’un nouveau président déjà élu.

Ce que la Cour a fait c’est tranposer cette provision sur l’hypothèse de la non tenue de l'élection présidentielle qui elle n'est pas prévue par la constitution. Par son entendement, la Cour remet en cause toute l'ossature constitutionnelle en place. En effet en étendant sans limite le dernier mandat du président de la république en fonction, l'arrêt de la Cour viole le prescrit de l’article 70 alinéa 1 qui fixe la durée de ce mandat à cinq ans renouvelable une seule fois et le mode de scrutin pour y accéder qui est en l'occurrence le suffrage universel direct.

Ainsi, le président Kabila se voit octroyer par la Cour constitutionnelle et en marge de la constitution un mandat supplémentaire dont la durée ne dépend que de son bon vouloir d'organiser les élections de son successeur. L'arrêt de la Cour viole aussi les termes de l'article 220 sur le principe du suffrage universel, le nombre et la durée des mandats du Président de la République.

Plutôt que de sanctionner ceux qui retardent intentionnellement les élections, la Cour a adopté une démarche paradoxale qui consiste à faire une prime à la mauvaise foi en gratifiant les auteurs du retard dans les élections d'un mandat supplémentaire. La Cour a ainsi créé un fâcheux précédent dont les malheureuses conséquences ne vont pas tarder à se manifester après le 19 décembre 2016 avec tous les abus que va entraîner l'exercice du pouvoir en marge de la constitution.

3. La Cour s'est servie du mauvais précédent

La quatrième insuffisance de l’arrêt de la Cour est dans le fait de s'être servi du mauvais précédent. En effet pour justifier sa position la Cour estime que le cas des sénateurs et députés provinciaux qui sont demeurés en fonctions bien après l'expiration de leurs mandats devrait aussi s'appliquer dans le cas du président de la république suivant en cela les termes des articles 103 et 105 de la constitution qui disposent que les mandats des députés et sénateurs commencent à la validation des pouvoirs et expirent à l’installation de leurs successeurs.

Cet entendement de la Cour feint d'ignorer les termes de l'article 70 qui clairement distingue le président de la république des députés et sénateurs en ce que son mandat ne peut en aucun cas dépasser 10 ans. La Cour superbement ignore aussi l'article 73 qui impose les modalités d'organisation du scrutin presidentiel en ces termes : « Le scrutin pour l'élection du Président de la République est convoqué par la Commission électorale nationale indépendante, quatre-vingt dix jours avant l'expiration du mandat du Président en exercice ».

Visiblement la volonté de la Cour à donner à tout pris une couverture juridique aux manoeuvres des tenants du pouvoir à prolonger le mandat du président de la république au delà de son terme constitutionnel peine à trouver un fondement valable. Il est en effet déplorable qu'ainsi la Cour n'en soit réduite à tordre le sens des provisions constitutionnelles pourtant claires.

De tout ce qui précède, il ne fait l'ombre d'aucun doute que l'arrêt RCONST/262 du 11 mai 2016 de la Cour Constitutionnelle viole gravement la constitution du 18 février 2006 et n’en traduit ni la lettre encore moins l'esprit.

4. Les recours possibles contre l'arrêt de la Cour

Il est indiscutable que sur pied de l'article 168 de la constitituion les arrêts de la Cour ne sont susceptibles d’aucun recours et sont immédiatement exécutoires. Il faut cependant nuancer en notant que s’il est vrai qu'un recour ordinaire comme l'appel ou celui d'inconstitutionalité sont exclus, il n’en reste pas moins que les décisions de la Haute Cour ne sont pas immunes de contestation.

En effet, le prescrit de l’article 168 ne doit pas être pris au pied de la lettre, il doit être lu en intelligence avec avec les articles 28 et 64 de la constitution. L’article 28 dispose que : « Nul n’est tenu d’exécuter un ordre manifestement illégal. Tout individu, tout agent de l’Etat est délié du devoir d’obéissance, lorsque l’ordre reçu constitue une atteinte manifeste au respect des droits de l’homme et des libertés publiques et des bonnes moeurs. » Par cette disposition la constitution donne à tout citoyen congolais le droit constitutionnel de ne pas obéir à un ordre manifestement illégal. Il faudra se rappeler ici que la Cour constitutionnelle n'est pas au dessus des lois et certainement pas de la constitution. Il est bien attendu qu'elle est dans l'obligation de se conformer à la loi fondamentale qui est l'ordre ultime de la légalité au Congo et qui constitue la source de son pouvoir.

Conscient du fait que la démocratie est un processus encore fragile au Congo et que les tentations du pouvoir pourraient le mettre en danger, le constituant a aussi imposé aux congolais le devoir constitutionnel de résister à l'exercice illégal du pouvoir en disposant que : « Tout Congolais a le devoir de faire échec à tout individu ou groupe d’individus qui prend le pouvoir par la force ou qui l’exerce en violation des dispositions de la présente Constitution. » (Article 64).

Il a déjà été démontré comment l'arrêt de la Cour a pour effet d'étendre sans limite le mandat du président de la république en fonction en violation de la constitution. Il faut noter ici que les termes des articles 28 et 64 n’excluent pas du champs de leur application les actes de la Cour constitutionnelle. Il s'ensuit que donc que toute décision de la Cour qui serait contraire à la légalité constitutionnelle du Congo tomberait sous le coup de l'article 28. De la même manière tout acte de la Cour qui aurait pour effet de favoriser l'exercice du pouvoir en violation de la constitution pourrait être contesté sur pied de l'article 64. Ainsi donc le constituant par les articles 28 et 67 consacre le droit, qui dans le cas présent est en fait un devoir, constitutionnel non seulement de contestation mais surtout de resistance à tout acte contraire à la légalité, en ce compris ce qui pourrait provenir de la Cour constitutionnelle.

Il faut cependant reconnaître que la loi n'a pas encore entièrement organisé les modalités pratiques d'exercice de ce droit, la constitution se contente de stipuler en son article 28 alinéa 2 que : « La preuve de l’illégalité manifeste de l’ordre incombe à la personne qui refuse de l’exécuter.» En droit de procédure cela équivaut à l'exception d'illégalité qu'une partie dans un procès peut soulever. Ainsi tout congolais est fondé à invoquer l'exception d'illégalité chaque fois qu'on lui opposera un acte illégal même s'il venait de la Cour constitutionnelle. Aussi les déclarations politiques, sit ins, marches et autres formes de contestation de l'arrêt de la Cour constitutionnelle peuvent être considérés donc comme l’exercice de ces droits consacrés par la constitution. Pour le reste, il est à espérer que la pratique et les principes généraux de droit suppléerons à la carence conformément à l'increvable ordonnance du 14 mai 1886 de l'Administrateur Général de l'Etat indépendant du Congo approuvée par décret du Roi-Souverain du 12 novembre 1886 qui prévoit que : « quand une matière n'est pas prévue par un décret, un arrêté ou une ordonnance déjà promulguée, les contestations qui sont de la compétence des tribunaux congolais seront jugées d'après les coutumes locales, les principes généraux du droit et l'équité

5. L'indépendance de la Cour pose problème

Qu’une résolution du conclave de l’opposition congolaise à Genval en Belgique en juin 2016 inscrive l’examen de la composition et du fonctionnement de la Cour constitutionnelle parmi les questions à traiter lors du dialogue politique à venir traduit en soit l’ampleur des préoccupations suscitées par la question de l'indépendance de cette institution.

Aux termes de l’article 159 nul ne peut être nommé membre de la Cour constitutionnelle s’il ne justifie d’une expérience éprouvée de quinze ans dans les domaines juridique ou politique. Le problème n'est pas tant dans la compétence des hommes qui la composent, qui sont des juristes chevronnés, mais plutôt dans leur mode de désignation et leur manque de courage patriotique. Au fait les juges se sentent redevables vis-à-vis de celui qui les à nommés à leurs postes. En effet aux termes de l’article 158 : « la Cour constitutionnelle comprend neuf membres nommés par le Président de laRépublique dont trois sur sa propre initiative, trois désignés par le Parlement réuni en Congrès et trois désignés par le Conseil supérieur de la magistrature. » Il s’en suit en toute logique qu’au moins six d’entre eux ont été désignés par la majorite au pouvoir en raison de trois par le président de la république et trois par le parlement qui est lui-même contrôlé par le même président de la république.

On est donc en présence d'une Cour qui est l'émanation d'une obédience politique et qui, à ce titre, ne peut pas aller à l'encontre des intérêts de ceux qui ont désignés la majorité de ses membres pour accéder à ces postes, non pas comme l'aboutissement de leurs carrières des juristes mais plutôt comme une faveur politique.

Aussi placés devant un choix historique cornélien entre dire le droit en âme et conscience ou plaire aux tenants du pouvoir, les juges de la Cour constitutionnelle ont pris le racourci de la violation de la constitution pour préserver leurs intérêts personnels et ceux de leurs amis politiques.

Maître Jean Paul Kasusula

Avocat au Barreau d’Edinburgh

kasusulajp@gmail.com

Publié dans Politique

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R
I think this is an informative post and it is very useful and knowledgeable. therefore, I would like to thank you for the efforts you have made in writing this article.
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M
Many thanks for your acknowledgment; very much appreciated